Au milieu des glaces [Terminé]

Le vent soulevait doucement sa fourrure aussi blanche et douce que la soie. Malgré la température, l’animal était couché à même le sol, directement posé sur ce tapis de neige éternelle. Un Glän’s, animal sauvage tout en puissance et en force. Et pourtant un regard, ce regard si doux empli de tendresse et d’amour. Des yeux posés sur ce monde gelé comme ceux d’une mère sur son enfant. Chacune de ses respirations suivait les battements de la planète, ne faisant plus qu’un avec tout être et toute chose. Harmonie, vie...

Doucement le Glän’s étira ses membres, prêt à se lever. Mais à la dernière seconde il se laissa choir sur le dos et roula dans la poudreuse. Des gerbes de neige volèrent en tout sens et bientôt on ne vit plus que le nez de l’animal émerger d’un dôme blanc. Un nez qui doucement rapetissa et quitta sa couleur noire pour une teinte plus légère, blanche, un rien rosée. Les pattes visibles semblèrent elles aussi rétrécir pour laisser place à des petites mains fragiles.

Un spectateur extérieur n’en aurait tout simplement pas cru ses yeux. Le Glän’s semblait fondre sur lui-même pour finalement disparaitre. Seules les traces fraiches dans la neige témoignaient de sa présence passée. C’était là une bien étrange situation, mais celle-ci n’était pas encore arrivée à son paroxysme.

En effet, le dôme blanc se craquela puis s’effondra sur lui-même. En son centre ne se trouvait plus à présent un animal sauvage mais une petite fille. Celle-ci devait avoir une dizaine d’année, pas davantage. Elle possédait des traits fins, harmonieux avec de grands yeux dorés. Sa chevelure, de la même couleur, recouvrait son petit corps entièrement nu. Le froid ne semblait pas la gêner, pas un frisson ne courait sur sa peau. Se relevant avec grâce, elle s’étira comme si elle sortait d’un long sommeil et fit quelques pas. Le visage dénoué de toute expression, la fillette s’approcha du bord de son perchoir et jeta un coup d’œil en bas de la vallée. Il lui semblait avoir entendu les pas d’une personne mais elle ne vit pas âme qui vive dans les environs. Le visiteur s’était peut être caché ou bien avait prit un autre chemin. Qu’importe, Qydia n’avait pas besoin de le voir pour le sentir. Il approchait, elle en était certaine.

La rencontre, imminente, battait dans le cœur de l’enfant comme une évidence. Le seul mystère planant encore était l’identité de l’inconnu.  Ami, ennemi ? Qu’importait dans le coeur de la déesse car elle sentait que cette rencontre devait alors lieu.

Cependant, pour ménager son invité, elle créa une légère étoffe sur son corps destinée à masquer son tatouage. Ainsi il ne verrait en elle qu'une petite fille à demie nue perdue au milieu des glaces.

Alors que je continuais mon entrainement acharné dans les monts enneigés d'Irces et après avoir combattu un loup sauvage je fis une pause pour chercher du gibier et du bois. Alors que j'avais tout ce qu'il me fallait pour tenir la nuit je me mis à penser à mon ancienne vie dans ma grande maison. Mais alors que je repensais à tout cela je sentis une présence apaisante qui me fit repenser à ma famille. Cette présence m'intrigua et je décidai donc d'aller voir de mes propres yeux cela. Alors que je montais de plus en plus haut en ayant une vue sur toute la vallée je vis une petite fille avec pour seul vêtement une étoffe. Je me mis a courir pour aller la voir et je la pris dans mes bras et l'enveloppai dans ma cape pour la réchauffer. Je lui demandai ce qu'elle faisait là, en lui accordant un grand sourire et en lui proposant de partager mon feu et ma nourriture.

Qydia contemplait toujours le paysage lorsque des bruits de pas précipités se firent entendre derrière elle. Une main ferme la saisit immédiatement pour la blottir contre une armure froide. Ses pieds nus quittèrent le sol. La déesse se préparait à une attaque imminente mais une voix douce apaisa ses craintes. L’inconnue, merveilleusement belle dans sa tenue de combat, lui demandait ce qu’elle faisait ici et si elle désirait partager son feu ainsi qu’un repas.  L’approche avait été un peu brusque, mais la jeune femme était pleine de bons sentiments. D’un hochement de tête, Qydia lui fit comprendre qu’elle acceptait l’invitation sans pour autant répondre à sa question. Bien que ne craignait pas le froid, la sensation fut fort agréable lorsque la jeune femme l’enveloppa dans sa cape. Gouttant alors à cette chaleur nouvelle, la petite déesse ne vit pas immédiatement le pavois que portait la jeune femme. Lorsqu’enfin ses yeux dorés se posèrent dessus, un doux sourire naquit sur ses lèvres.

Un Glän’s apparaissait sur le bouclier, magnifique armoirie gravée avec soin. Qydia n’eut pas à faire appel à sa mémoire pour savoir à qui elle avait affaire. Il s’agissait d’un membre de la grande lignée des Eran. Cette famille qui avait toujours soutenu les Déesses, et ce bien avant la grande catastrophe. De nobles combattants... Cela faisait si longtemps que Qydia n’avait  pas croisé l’un d’entre eux qu’elle avait cru leur branche éteinte. Quelle joie de voir qu’il n’en était pas ainsi.
Enfin arrivées à l’abri d’une grotte, la jeune femme posa son fardeau devant le feu. Qydia, qui n’avait toujours pas prononcé un mot, s’avança vers la belle inconnue et prit sa main dans les siennes. Ses yeux brillaient de reconnaissance et d’affection, tellement proches de ceux d’un adulte.

« Merci... Mais dis-moi, quel est ton nom ? Et que fais-tu ici ? »

La jeune déesse avait exprimé ce remerciement d’une voix chaleureuse et chargée d’émotion. Ce n’était pas seulement pour le fait de lui avoir proposé un endroit où s’abriter, c’était surtout pour tous les services accomplis par la famille Eran.

Attendant une réponse de la guerrière, Qydia lâcha finalement sa main et s’approcha du foyer. Le feu avait commencé à s’éteindre, mais il lui suffit de le regarder pour que celui-ci se ranime avec force. En affichant ainsi clairement un de ses dons, la fillette se doutait que l’inconnue ne tarderait pas à deviner son identité. Cependant elle ne dit mot à ce sujet, laissant planer le doute sur qui elle était vraiment. Après tout, les enfants maitrisant le feu n’étaient pas rares dans cette contrée...

Lorsque la petite fille c'était enfin décidée à parler ses paroles firent remonter les souvenirs de Grimwyn et elle se perdit dans ses pensées en retrouvant la douceur de sa famille. Puis elle regarda la fillette et se dit qu'elle devait avoir à peu près 10 ans. À cette âge Grimwyn avait déjà commencé à apprendre le maniement des armes. Puis elle se décida à répondre. Mais alors qu'elle allait répondre elle la vit utiliser la magie du feu.
« Je me nomme Grimwyn Eran et je m’entraîne dans ces montagnes et toi comment t'appelles-tu petite magicienne »
Elle disait cela sans jamais perdre son sourire qui lui permettait de cacher ses faiblesses, car elle se méfiait tout de même un peu de cette enfant. Puis elle ajouta : « Et si nous commencions à manger il ne faut pas que la viande refroidisse »

« Je me nomme Grimwyn Eran et je m’entraîne dans ces montagnes et toi comment t'appelles-tu petite magicienne ? »

Grimwyn... Qydia n’avait jamais entendu ce prénom  mais elle ne s’était cependant pas trompée sur l’appartenance de cette jeune femme à la lignée des Eran. Quelle joie, véritablement... Il y avait donc encore une chance pour que...

« Et si nous commencions à manger il ne faut pas que la viande refroidisse. »

Cette jeune femme était décidemment bien intentionnée et douce, du moins pour une guerrière de son rang. Ne souhaitant pas se montrer hostile, Qydia accepta la proposition et saisit un petit bout de viande entre ses doigts. Lorsqu’elle sentit le morceau se dilater sous ses dents et son arôme envahir sa bouche, elle ne put retenir une exclamation. C’était tout simplement délicieux ! Elle engouffra littéralement sa part à une vitesse folle et se retint de justesse d’en demander davantage. Lorsqu’enfin elle eut finie, elle releva la tête et plongea ses yeux dans ceux de la jeune femme. On aurait pu croire que la déesse allait enfin engager une conversation sérieuse sur l’avenir possible du monde et la route à prendre, au lieu de quoi son visage se fendit d’un immense sourire auquel elle ajouta :

« Qu’est ce que c’est bon ! »

Avec ses joues teintées de rouge et son air satisfait, Qydia ressemblait effectivement à cet instant à une enfant de dix ans. Malgré son grand âge et les épreuves endurées, elle savait encore profiter des petites joies de la vie. Elle se fit même la réflexion suivante selon laquelle Idrila aurait elle aussi adoré ce repas !

Mais cette simple pensée fut pour elle comme un impact au creux de son cœur. Idrila... Bien que la séparation ait eu lieu depuis de nombreuses lunes, Qydia peinait à se remettre de la situation. Habituellement elle essayait de ne pas y penser plus que de nécessaire, mais cette fois ci elle n’avait pas su museler à temps son esprit. Idrila...

Emportée par le flot de ses souvenirs, la déesse se laissa bientôt submergée par une vague de tristesse et d’amertume. Comme pour répondre à ses émotions, le feu diminua en intensité et finalement s’éteignit. Le ciel, si dégagé quelques minutes auparavant fut envahi de gros nuages annonciateurs d’une tempête. Le vent se leva également, secouant les arbres gelés d’Ircès avec une rare violence. La nuit elle-même sembla tomber précipitamment sur le paysage glacé. Le visage de Qydia n’était à présent plus visible dans cette pénombre, seule sa silhouette se devinait dans les ténèbres. Elle prit alors la parole. Sa voix n’était plus celle d’une petite fille, mais bien celle d’une femme.

« Qydia, je m’appelle Qydia... »

« Qu’est-ce que c’est bon ! »

A ce moment la Grimwyn fut très heureuse d'avoir fait apparaître un sourire sur le visage de la petite fille. Mais soudain la météo changea du tout au tout. Alors que Grimwyn se demandait ce qu'il se passait et qui était cette petite fille. Elle saisit son arme d'un geste rapide craignant que cette fille soit une créature maléfique ou bien même une illusion. Tout aller à cent à l'heure dans sa tête. Qui était cette fille, devait elle la craindre ou la protéger de quelque chose. Mais la réponse à toutes ses questions arriva de la bouche de la petite fille.
« Qydia, je m’appelle Qydia... »

A ce moment-là son esprit était brouillé, cette fille était-elle vraiment la déesse que sa famille avait servi et pour laquelle elle était morte. Cette déesse était la coupable de la mort de ses proches.
Mais soudain en regardant la petite fille elle se ressaisit, mit un genou à terre et elle dit du fond du cœur :

« Je suis de la lignée des Eran et je vous servirai pour toujours »

Qydia avait vu le geste de la jeune guerrière. Elle avait saisi son arme. L’effroi se lisait dans ses yeux, elle ne savait si elle avait en face d’elle un ange ou un démon. La divine cru même voir son regard se voiler lorsqu’elle lui révéla sa véritable identité. Mais le sang coulant dans les veines de Grimwyn dicta le geste qui s’ensuivit. Elle posa un genou à terre et d’une voix humble lui dit :

« Je suis de la lignée des Eran et je vous servirai pour toujours. »

Une certaine émotion envahit la déesse. Il était toujours touchant de voir que certains étaient prêts à tout pour aider le destin à s’illuminer. Qydia s’approcha alors doucement de la jeune femme et profitant du fait qu’elle soit à sa hauteur, saisit son visage entre ses mains. Un flot de sensation l’envahit aussitôt, un flot impétueux de douleur, de tristesse mais aussi de force et de courage. Ce ne fut que lorsque les doigts de la déesse quittèrent le visage de la jeune femme que les sentiments s’estompèrent du cœur de Qydia.

« Et pourtant, les tiens sont morts pour nous depuis des générations. Quant à tes parents... je peux sentir qu’ils ne sont plus. Tu es à présent... seule. »

Ce dernier mot raisonna dans la grotte. Qydia savait tellement ce que pouvait signifier ce simple terme.

« Et malgré tout, tu continues de te battre. La force qui t’anime est tel un ouragan, je suis certaine que tu pourras aller aussi loin que tu le désires. Cependant... »

La divine hésita, elle ne savait si elle devait continuer. Néanmoins, après une brève inspiration, elle murmura :

« Cependant rien ne t’oblige à continuer ce combat. Tu as déjà tant perdu dans cette bataille, je sens que ton cœur saigne toujours au nom de ceux qui sont partis... Je ne veux pas que tu embrasses notre cause par obligation, mais bien par choix. »

Qydia se redressa alors et s’approcha de l’entrée de la grotte. Dehors, le vent n’avait pas encore faibli et la neige se mit à tomber sur les cimes d’Ircès. Tournant alors le dos à Grimwyn, elle reprit la parole :

« Mais si jamais ce choix devait te conduire à porter les armes en notre nom, il te faudra trouver de l’aide. Quelque chose de terrible se prépare. Plus de deux cents ans se sont écoulés depuis la chute de Téniriha et pourtant... Pourtant le souffle de la guerre se répand, je peux sentir son haleine putride courir sur les terres d’Asténia. Il est de plus en plus présent jours après jours... »

La petite fille se laissa choir au sol, les genoux dans la neige. Elle offrit son visage au vent rageur, laissant ses cheveux voler sur ses épaules nues. Des larmes roulèrent sur ses joues. Indignation, colère, impuissance. A quoi bon être une créature divine si une simple guerre ne pouvait être évitée et toutes ces vies épargnées.

« Que choisis tu jeune Eran ? Où te mèneront tes pas ? »

Sa voix, étranglée par les sanglots n’était plus qu’un murmure. Son cœur lui brulait de devoir ainsi demander de l’aide. D’envoyer des gens, innocents, à une mort certaine. Mais quel choix lui restait il, à elle, mère de ce peuple ? Devait-elle attendre gentiment que tous s’éteignent, soufflés comme la flamme d’une bougie ? Ou bien essayer d’organiser une résistance, quoi qu’il en coute ?

Grimwyn avait écouté sans dire un mot, elle ne savait plus quoi dire. Cela faisait dix bonnes minutes que le silence régnait dans la grotte quand soudain Grimwyn se leva et pris la parole pour dire sa réponse.

« Durant longtemps j'ai cru que mes parents étaient morts à cause de vous et je vous en voulais. Mais je me suis rendue compte qu'ils étaient morts pour vous et non par votre faute. Je ne veux plus me battre par vengeance. Je ne me battrais pas pour vous, mais je me battrais avec vous. Je ne serai pas la seule et je trouverais des compagnons qui se rallieront à notre cause. Je te remercie de m'avoir ouvert les yeux et je vais donc partir pour commencer à accomplir ma recherche. »

Ensuite, Grimwyn ce tourna et parti sans dire un mot, mais alors qu'elle sortait de la caverne elle se retourna et dit : « Au revoir Qydia, appelle moi si tu es en danger. La prochaine fois qu'on se verra je ne serai pas seule pour t'aider. »